I. Incantatoire, II. Linéaire, III. Obsessionnel, IV. Torpide, V. Flamboyant
Composition : 1962-1964
Commande de George Szell pour l’Orchestre de Cleveland
Effectif : 4 flûtes, 3 hautbois, cor anglais, petite clarinette, 2 clarinettes, clarinette basse, 3 bassons, contrebasson – 4 cors, 4 trompettes, 3 trombones, tuba – 3 percussionnistes, 4 timbales, xylophone, glockenspiel, harpe, célesta – cordes
Éditeur : Heugel
Durée : environ 17 minutes
La musique comme art des métamorphoses : l’idée résonne tout particulièrement chez Dutilleux, pour qui la question d’une forme musicale se libérant des « modèles préfabriqués » se pose avec acuité dès les premiers essais de composition. Du désir de créer « des œuvres qui soient unitaires comme celles du passé et ouvertes et mobiles comme celles du présent », les Métaboles de 1964, partition essentielle du compositeur, témoignent de deux manières.
D’abord par leur forme, en cinq moments enchaînés : « Mon propos était de m’écarter du cadre formel de la symphonie […]. Il s’agit, en somme, d’un concerto pour orchestre. Chacune des cinq parties privilégie une famille particulière d’instruments, les bois, les cordes, les percussions, les cuivres, et l’ensemble pour conclure ». Mais surtout par leur matériau, touché par les métaboles du titre (Dutilleux avait un moment pensé à intituler l’œuvre Métamorphoses, mais avait renoncé à l’appellation en raison de son utilisation par Strauss et Hindemith dans les années 1940). Le compositeur explique ainsi :
“Ce terme de rhétorique, adopté à propos de formes musicales, trahit ma pensée : j’ai voulu présenter une ou plusieurs idées dans un ordre et sous des aspects différents, jusqu’à leur faire subir, par étapes successives, un véritable changement de nature. Sur le plan formel, ces pièces s’imbriquent les unes dans les autres et présentent le schéma suivant : dans chacune d’elles, la figure initiale – mélodique, rythmique ou harmonique – subit une succession de transformations. À un certain stade d’évolution – vers la fin de chaque pièce – la déformation est si accusée qu’elle engendre une nouvelle figure et celle-ci apparaît en filigrane sous la trame symphonique. Cette figure sert d’amorce à la pièce suivante, et ainsi de suite jusqu’à la dernière pièce.”
Le premier mouvement, plus ou moins de forme rondo (l’« accord-cloche » du début, tout entier contenu entre le mi des contrebasses et celui des piccolos, hautbois, petite clarinette et violons, jouant le rôle d’un refrain), psalmodie ses impacts avant de les transformer en mouvements, notamment par le biais d’un solo de trompette.
L’élément fondamental de triton (mi–si bémol) quitte ensuite le monde des bois « traités en foisonnement » pour les cordes de Linéaire, construites en strates horizontales, qui dessinent un univers au temps non pulse. Un solo de contrebasse en pizzicatos énonce une série dodécaphonique qu’Obsessionnel travaille dans des timbres cuivres, avant de déboucher dans Torpide sur des sonorités percussives (toms notamment) et volontiers indéterminées (comme le « son plat » des harmoniques de contrebasses ou les do dans l’extrême grave de la harpe).
Le Flamboyant final signe la réunion de tous les groupes instrumentaux tout en ramenant des métaboles déjà énoncées, notamment l’élément originel d’« accord-cloche ». Un immense crescendo porte la vibration sonore à son plus haut niveau, donnant à l’« intense contemplation de la nature », à l’origine de ces Métaboles, des résonances mystiques.
Angèle Leroy
Notice initialement parue à l’occasion du Domaine Privé Henri Dutilleux, Cité de la musique, 26 mai 2014
Henri Dutilleux, Métaboles © 1964 HEUGEL – Avec l’aimable autorisation de ALPHONSE LEDUC ÉDITIONS MUSICALES