Henri Dutilleux rejoint la Radiodiffusion française pendant l’Occupation. Son poste l’amène à commander, réaliser et programmer des œuvres de ses pairs pour le service des Illustrations musicales. En tant qu’assistant, puis comme directeur à compter du 1er octobre 1944, il commence par en produire lui-même.
Dans l’art de l’illustration musicale, on distingue les disques de transition, qui viennent combler le vide entre deux émissions, et les fonds sonores, qui peuvent soutenir une émission par un tapissage musical ou bien prendre l’ampleur d’une partition écrite pour la scène pour accompagner des créations littéraires ou dramatiques destinées à la radio. Intermèdes et ambiances sont alors enregistrés sur bande par des ensembles de chambre plus ou moins étendus.
Au journaliste Bruno Serrou, auquel il accordait un entretien en 1995, Henri Dutilleux fit ce récit de son passage à la radio :
« Sous l’autorité de Henry Barraud, je travaillais alors au Service d’illustration musicale. C’était de la musique le plus souvent originale pour les émissions littéraires faites pour la radio. C’était particulièrement intéressant pour les jeunes musiciens. Cela servait d’atelier, de banc d’essai pour les jeunes. Comme Betsy Jolas, ou Maurice Ohana, Serge Nigg, et beaucoup d’autres. C’était très intéressant parce qu’on était en contact constant avec le son, les partitions devaient être réalisées en trois semaines, et nous côtoyions des réalisateurs d’émissions comme Jacques Vierne. […]
En fait, nous faisions de l’illustration sonore, mais nous essayions de trouver un style nouveau, une forme d’expression nouvelle purement radiophonique. Une sorte de théâtre radiophonique. […]
Pour moi c’était un gagne pain, mais un gagne pain très intéressant. D’autant plus que je rencontrais des gens passionnants. Ionesco, mais cette rencontre n’a pas eu de suite ; et des gens que j’aime comme Billetdoux, Obaldia. C’était un milieu très intense. Cela aurait pu m’entraîner vers l’opéra… »
Dans cette « forme d’expression nouvelle », certaines pièces réemploient des matériaux plus anciens, révisés, quand d’autres préfigurent des matériaux développés ultérieurement. D’après les bulletins déposés à la SACEM, la seule année 1944-1945 fut généreuse en invention, comptant pas moins de 23 pièces déclarées, dont les fonds sonores Numance (pour une adaptation de Paul Castan d’après Cervantès) ou Roman de Renard (adaptation de Jacques Daroy).
Malgré les scrupules du compositeur qui considère ces pièces comme secondaires, les éditeurs ne s’y trompent pas. À l’audition des dernières d’entre elles, en 1945, Gilbert Leduc les estime d’une qualité rare, presque superflue » pour leur destination initiale où « c’est triste à dire, elles passent sans que le nom de l’auteur soit mentionné… » L’éditeur d’en placer aussitôt une dizaine sous contrat, dont celles qui paraîtront l’année suivante sous le titre d’Au gré des ondes. Et Jacqueline Bonneau-Robin — qui forme un an plus tard un célèbre duo de pianistes avec l’épouse du compositeur, Geneviève Joy — enregistra la série, aujourd’hui au répertoire de nombreux pianistes.
Au gré des ondes par Jacqueline Bonneau-Robin, extrait radiophonique, s.d. ©INA
Sources :
Bruno Serrou, entretien avec Henri Dutilleux, Paris, le 19 décembre 1995, publié en ligne le 22 mai 2013 [date de dernière consultation : 23/11/2016]
Pierre Gervasoni, 2016, pp. 321-322 et pp. 355-356, qui cite la lettre de Gilbert Leduc à Henri Dutilleux, 4 avril 1945
Pour aller plus loin :
Henry Barraud, Un compositeur aux commandes de la Radio. Essai autobiographique, édité sous la direction de Myriam Chimènes et Karine Le Bail, Paris, Fayard, BNF, 2010
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